A l'aube de la 2ème guerre mondiale, tout ce qui vole sérieusement au sein de la RAF, notamment les chasseurs Hurricane et Spitfire, est motorisé par un Rolls Royce Merlin. Ce moteur appelé à devenir célèbre, souffre cependant d'un léger défaut de conception passé un peu inaperçu au moment de sa phase de mise au point qui se termine en 1937/38. Bien que généreusement suralimenté, il est toujours gavé par de solides et classiques carburateurs, contrairement à son concurrent et bientôt coriace adversaire, le Mercedes du Messerchmidt 109 qui est lui, injecté. Il en résulte pour notre pauvre Merlin une tendance aussi chronique que facheuse a couper franchement dès qu'il se retrouve soumis à des G négatifs lorsque par exemple l'avion pique brutalement, manoeuvre courante dans le combat aérien. Comprenez l'émoi et le désenchantement des pilotes anglais qui en plein voile rouge, pas forcément très haut et pas nécessairement en bonne compagnie, se retrouvent moteur coupé, en piqué, non manoeuvrant avec un machin qui en plus, peut très bien ne pas redémarrer !
Au moment où le sort de tant d'hommes va dépendre de si peu, il s'agit là d'un grave défaut, d'autant plus ennuyeux qu'il n'a pas échappé au commandement de la Luftwaffe. Le sort du monde libre va t'il basculer pour une bète histoire de ratatouillage ? Vous connaissez la suite de l'histoire, il n'en sera heureusement rien grâce à la mise au point d'un astucieux clapet ; "the miss Shilling's orifice" ainsi qu'il sera désormais connu avec le goût inné des anglais pour doter d'un surnom évocateur le moindre bout de ferraille important.
Que diable, me direz vous, vient faire cette longue et dramatique introduction dans un message censé apporter une contribution plus ou moins sincère aux célébrations dégoulinantes de la journée de la femme ?
Et bien, l'ingénieur dont un orifice portant le nom sera utilisé avec constance et bonheur par tout ce que la RAF va compter de pilotes et qui va accessoirement contribuer a sauver le monde, est une femme ; Miss Béatrice Shilling.
Outre ce fantastique achèvement, Miss Shilling peut être, à bien d'autres égards, considérée comme étant LA femme, la personnalité absolue qu'il est on ne peut plus juste et malin d'honorer au moins une fois en lieu place de cette anonyme et insipide journée du 8 mars. Jugez par vous même !
Née dans un milieu modeste, son intelligence précoce et sa personnalité vont la faire remarquer et lui ouvrir les portes, ô combien étroites dans cette société britannique de l'entre deux guerres peu ouverte aux femmes, à la mixité sociale et aux hautes études techniques, d'un cursus long et difficile qui l'aménera au diplôme d'ingénieur en 1929. Aujourd'hui assez banal, ce parcours est on ne peut plus remarquable à une époque où en Angleterre il n'y a que très peu d'écoles d'ingénieurs, aucune école de design ou de management, où les ingénieurs diplômés sont rarissimes. Par exemple, chez Matchless, un des plus importants constructeurs de motos, il y en a ... un ! Alors pensez dans ce contexte, une femme ingénieur !
Par ailleurs, Miss Shilling est aussi remarquable à nos yeux de motocyclistes convaincus pour sa passion de la course. Elle sera en 1934 la deuxième femme a remporter une "gold star" pour un tour à plus de 100 mph avec sa Norton Manx (combien connaissez vous de gonzesses qui aient roulé sur une Manx?) sur l'immense et redoutable anneau de Brooklands.
Même si cette photo ne rend pas particulièrement hommage à sa féminité, il faut croire qu'elle avait du chien car elle n'acceptera la demande en mariage de son amoureux éperdu, ingénieur à ses cotés, que lorsque lui aussi aura obtenu une "gold star", ce qu'il fera en 1938. Ensemble, ils continueront a courir en moto et en voiture jusqu'en 1960.
Et puis, si en plus elle avait eu le physique de Jane Russel, c'eut été trop ! Elle aurait été la preuve vivante que Dieu n'existe pas ! Au lieu d'être un exemple, elle aurait été détéstée, du coup je la préfère presque comme ça.
Voilà un hommage nécessaire. Pour compléter cet article essentiel, le trou de Tilly était un simple cercle métallique percé d'un orifice. Situé entre le carburateur et l'admission, il limitait l'afflux d'essence au maximal nécessaire pour obtenir la puissance de combat du Merlin. Car, sous G négatifs, le moteur s'étouffait par un excès de richesse de la carburation. Ce merveilleux orifice devint obsolète lorsque les versions ultérieures du Merlin furent munies de carburateurs Bendix Stromberg pressurisés dont le débit était régulé quelles que soient les accélérations subies. Let's toss our ale for Tilly and her hole!
RépondreSupprimerEn post scriptum, un léger correctif. Les moteurs germains, V12 inversés et injectés étaient des DB de la série 600 pour Daimler Benz et non des Mercedes. La marque était reservée aux automobiles. Futile mais essentiel dans l'esprit de ce blog.
Une fois de plus, le "doc", c'est beau, clair précis, pointu ! Face à une telle accumulation de précisons, de remarques idoines, de corrections délicates d'erreurs pourtant patentes ... ramené à ma condition de pauvre loque pantelante au verbiage indigne, j'envisage carrèment d'aller me jeter sous un train !
RépondreSupprimerAh! ce blog! Quel insigne plaisir, mécanique, lettré, et nécessairement érotomane. Merci Hervé.
RépondreSupprimerLa vérité mécanique m'oblige à apporter un correctif et une petite précision à mes propos précédents. La série DB proposait bien 12 cylindres pour ce qui concerne les 601 et 605. Le DB610 était lui un 24 cylindres puisqu'il procédait de l'accouplement côte à côte de deux DB 605 Cette petite monstruosité mécanique de près de 3000cv avait été conçue quelque peu à la hâte afin de propulser le bombardier lourd Heinkel 177, lui prêtant ainsi les vertus aérodynamiques d'un bimoteur. Et si, de fait la traînée de l'engin était quelque peu réduite par rapport à celle dont eût souffert un quadrimoteur plus traditionnel, la combustibilité spontanée de l'ensemble était tout à fait remarquable. Ceci ajouté au fait que les plus hautes instances du Reich avaient eu l'idée bénéfique pour les alliés de transformer l'ensemble en bombardier en piqué ne milita pas pour que le DB 610 marquât d'une pierre blanche l'histoire de la motorisation des aéronefs. On pourrait faire tout un article sur ces accouplements dont Fiat, Daimler Hispano et dans une moindre mesure Napier entre autres furent les auteurs. La tératologie mécanique est une science délicieuse.
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