Héros

Le monde entier célèbre le cinquantenaire du premier vol habité dans l'espace. Plutôt que l'évènement je préfère me souvenir de Youri Gagarine, l'homme qui fut un des grands héros de mon enfance. Même si à l'époque je ne connaissais pas bien les tenants et les aboutissants de l'exploit, je présentais qu'il lui avait fallu être sacrèment couillu pour simplement dire "on est parti" au moment de la mise à feu.

Les années étant passées, l'information étant devenu disponible, rien de ce que j'ai appris depuis n'est venu gacher le sentiment de respect envieux que j'eus à l'époque pour cet homme et qui avait fait de Gagarine mon héros.

Imaginez ce qu'il fallait avoir comme courage pour grimper s'encastrer dans cette minuscule boule de métal juchée au sommet de 50 tonnes de propergol liquide, un des explosifs les plus puissants et à l'époque un rien instable, jamais fabriqué. On ne pas parler d'inconscience car il sait pertinemment que sur les 7 lancements d'essai précédents, 5 ont fini prématurement en chaleur et lumière. Bon d'accord si il y avait un pb au décolage et qu'il était encore de ce monde, il sait aussi qu'il peut toujours s'éjecter ... à condition que cela se fasse dans les 40 secondes car après c'est  - au choix - trop tard, trop haut, trop froid. 

En sus de ce détail, un individu plus chagrin que lui aurait pu s'inquièter de savoir que le système de stabilisation sur l'orbite, ô combien important sur un vol si court, n'ait jamais vraiment été correctement testé (de fait il merdera la majorité du temps de vol). Un autre plus pessimiste aurait pu s'émouvoir de ce que ne sachant pas comment l'organisme allait réagir en l'absence de gravité, les ingénieurs aient choisi de verrouiller tout le contrôle commande en automatique. Qu'ainsi il ne peut agir sur absolument rien .... sauf (ouf!) à décacheter une enveloppe (gasp !!!) contenant les nombreux codes qu'il va lui falloir rentrer avec son petit clavier pour reprendre la main si cela devait merder vraiment trop fort. Sachant que le vol est prévu pour durer quelques dizaines de minutes, il ne ne va pas falloir s'énerver à perdre trop de temps dans un contexte tendu pour enlever ses gants et déchirer une enveloppe faite dans un kraft que l'on imagine bien solide, voire même renforçé avec du gros scotch, comme pour tout bon pli classé secret défense.

Bon d'accord il allait être le premier homme à voir la terre si ronde ! Certes, mais a condition que les boulons explosifs du volet sur le hublot fonctionnent dans l'espace aussi bien qu'ils l'ont fait au sol, vérification à laquelle il aura l'insigne honneur d'être le tout premier à assister .... peut être un peu trop en direct. En parlant de séparation, son vaisseau est relié par des sangles à un module technique dont il doit se séparer au moment de la rentrée dans l'atmosphère. Bon, c'est prévu comme ça,  mais il sait que ça n'a jamais été vraiment testé puisque les Spoutnik précédents n'en avait pas. Heureusement que les sangles, même de qualité soviètique, résistent mal à la chaleur car le système de décrochage a foiré, occasionnant quelques chaleurs au propre comme au figuré au moment de la rentrée dans l'armosphère. Si à la place des rustiques sangles, un ingénieur plus moderne que les autres avait opté pour de solides crochets retractables .... il aurait pu aussi bien finir sa course soit en particules élémentaires, soit bien plus grave, aux USA, ce qui aurait fait désordre et dans ce cas nui à sa promotion au titre de héros de l'union soviètique.

Enfin cela allait quand même valloir le coup de raconter tout ça devant les foules ébahies. En fait non, car de toutes façons il n'aura pas le droit de dire quoi que ce soit, juste de sourire. Et encore pour sourire, il faut être vivant, ce qui n'est pas encore garanti  car même en supposant qu'il ait à peu près survécu jusqu'au retour dans l'atmosphère terrestre avec un niveau de conscience minimal, il lui faut impérativement s'éjecter du vaisseau avant qu'il ne s'écrase au sol, car sa vitesse de rentrée est phénoménale et personne ne survivrait à un tel choc. Bon d'accord, il n'a que quelques minutes pour reprendre ses esprits, comprendre qu'il est dans l'atmosphère - qui à ces vitesses là n'est pas si épaisse que ça - et s'éjecter, pas trop tôt mais trop tard non plus, pour se poser délicatement en parachute et dans une seyante combinaison orange.

Avec le directeur du programme spatial russe, on aura tenu pour négligeable la probabilité que les camarades ruraux du trou perdu où il va atterrir, certes soviétiques mais pas vraiment informés, possiblement énervés par les grands trous que son vaisseau vient tout juste de creuser dans leurs champs, ne l'accueillent à grands coups de fusil.

Avec tout ça dans la tête, juste dire dans un sourire ; "on est parti" , chapeau !